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L’intelligence artificielle : le nouveau Far West numérique

Introduction

Fin 2022, le monde du numérique a été secoué par l’apparition des intelligences artificielles conversationnelles et génératives. Les IA conversationnelles notamment, ont surpris le grand public, car il est possible de converser avec elles comme on le ferait avec un autre humain. Quant aux IA génératives, elles permettent de créer des images, des vidéos… de haute qualité à partir de quelques mots seulement.

L’illustration la plus éclatante de ce nouveau développement technologique ? L’IA créée par l’entreprise américaine OpenAI : ChatGPT. Il a suffi de cinq jours seulement pour que ChatGPT atteigne le million d’utilisateurs. En comparaison, il a fallu dix mois à Facebook pour obtenir le même nombre d’utilisateurs (https://www.statista.com/chart/29174/time-to-one-million-users/).

Il est aujourd’hui possible de discuter avec un programme capable de répondre aux questions, de reformuler des textes, d’écrire des blagues... le tout dans un langage quasiment irréprochable donnant l’impression d’échanger avec un être humain. D’autres intelligences artificielles, comme Midjourney, sont quant à elles capables de traduire les mots en images et réalisent quasi instantanément de véritables créations artistiques (photographies extrêmement réalistes, peintures à l’huile...).

Même si les intelligences artificielles nous accompagnent discrètement depuis quelques années déjà, à l’arrière-plan des services numériques que nous utilisons, cette technologie a pris un tournant spectaculaire qui a interpellé le public, les entreprises et les états du monde entier. Si les progrès...

Qu’est-ce qu’une intelligence artificielle ?

Une intelligence artificielle (IA) est un programme informatique complexe et lourd, constitué de divers algorithmes (ou morceaux de code). Les IA sont créées à partir de larges volumes de données permettant d’identifier des modèles (ou patterns) mathématiques récurrents. L’objectif : réaliser un travail d’apprentissage grâce à ces données, afin, par exemple, de pouvoir en générer d’autres. Ainsi, ChatGPT « a appris » à écrire à la manière d’un humain en consultant de nombreux textes.

De manière générale, une IA est un outil capable de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité » selon la définition retenue par le Parlement européen (https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20200827STO85804/intelligence-artificielle-definition-et-utilisation).

La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a également créé tout un glossaire autour de l’IA, afin de permettre à un large public d’en comprendre le vocabulaire : https://www.cnil.fr/en/intelligence-artificielle/glossaire-ia

Les intelligences artificielles se répartissent en trois groupes principaux.

Intelligences artificielles spécialisées (ANI)

ANI signifie, en anglais, Artificial Narrow Intelligence (c’est-à-dire Intelligence artificielle « étroite d’esprit »). Celles-ci sont entraînées pour réaliser des tâches spécifiques. En voici quelques exemples : une IA de conduite automatique de voiture, un assistant vocal (de type Siri ou Alexa), Google...

Des IA aux capacités multiples

Des écrivains productifs

Un outil comme ChatGPT permet de générer du texte à partir d’un prompt (une demande textuelle). En voici quelques exemples :

  • « Écris-moi une recette de cuisine avec du chou-fleur, des carottes et du poulet. »

En réponse à cette requête, l’IA génère une recette comportant une liste d’ingrédients ainsi que les étapes à suivre pour réaliser un plat. Pour cela, elle recherche, dans l’ensemble de ses connaissances, des recettes correspondant aux mots indiqués dans la demande. Ensuite, elle compose une recette adaptée.

  • « Écris une chanson sur le thème du numérique responsable. »

L’IA produit une chanson en se basant sur l’expression clé « numérique responsable » pour trouver des contenus adaptés et les mélange avec d’autres contenus tirés de chansons existantes.

  • « Écris un scénario de film/une blague/un poème/une demande en mariage (etc.). »

  • « Traduis « numérique responsable » en anglais. »

  • « Dis-moi comment je peux créer une intelligence artificielle. »

Pour répondre à toutes ces demandes, l’IA cherche d’abord à déterminer le sens de la requête. Elle pioche ensuite les éléments adéquats dans sa base de connaissances, avant d’élaborer une réponse adaptée en compilant de manière ordonnée toutes les informations qu’elle a trouvées.

Il faut tester cet outil pour s’en faire une idée ; l’expérience est assez étonnante, tant au niveau de la rapidité...

Comment créer une IA ?

Pour créer une intelligence artificielle comme ChatGPT, en mesure de comprendre ce que nous lui demandons (en différentes langues et sur de nombreux sujets) et capable d’y apporter une réponse pertinente, de nombreuses journées d’entraînement ont été nécessaires.

Imaginez un bébé qui vient de naître : des dizaines de mois lui sont nécessaires pour apprendre à interagir, avoir conscience de sa propre présence comme de celle des autres, comprendre la signification des mots et des gestes...

Il se trouve que les intelligences artificielles actuelles fonctionnent sur le même procédé : celui du réseau de neurones. Elles doivent absorber une quantité astronomique de textes, d’images, d’extraits audio, etc. Leurs créateurs poursuivent un objectif : faire en sorte que ces boîtes obscures commencent à établir des connexions entre ces différents éléments. Dans le cas d’un entraînement au langage, par exemple, les IA développent une certaine compréhension, mathématique et statistique, de l’ordre des mots dans une phrase.

Pour fonctionner et s’entraîner à appréhender tout ce volume de données, des composants puissants (notamment des cartes graphiques) et des serveurs très énergivores sont requis.

Ainsi, OpenAI (l’entreprise à l’origine de ChatGPT) peut compter sur son partenaire privilégié Microsoft. Ce dernier met à sa disposition des machines et des services informatiques très puissants.

Ceci a permis à OpenAI de fournir à son IA un volume de données impressionnant sous la forme d’articles, de pages web... soit 45 To de textes compressés...

L’impact environnemental de l’intelligence artificielle

De même que l’ensemble des appareils, infrastructures, logiciels, services en ligne... qui composent le numérique aujourd’hui, l’intelligence artificielle est une technologie aux impacts conséquents sur l’environnement. Pour le moment, les créateurs de ces IA restent discrets sur le coût énergétique de leur entraînement et leur utilisation. En se basant sur les données disponibles, quelques chercheurs se penchent actuellement sur ce sujet. Leur objectif : tenter de comprendre l’ampleur des conséquences de l’IA sur la planète. Voici quelques-uns des chiffres clés les plus significatifs (au moment où nous écrivons ces lignes).

Quelques chiffres significatifs sur ChatGPT

Revenons sur le coût environnemental de la création d’une telle IA. D’après une étude publiée par l’université de Californie, cela représente 552 tonnes d’équivalent CO2, soit 2 536 765 km en voiture. C’est-à-dire 550 allers-retours entre New York et San Francisco (https://les-enovateurs.com/chatgpt-revolution-numerique-impact-environnemental).

D’après une autre étude sur la consommation électrique de ChatGPT, par rapport au nombre d’utilisateurs et à la puissance matérielle nécessaire, l’IA consommerait en un mois 4 166 784 kWh (https://kaspergroesludvigsen.medium.com/chatgpts-electricity-consumption-pt-ii-225e7e43f22b). Cela correspondrait à la consommation électrique du Cambodge pour toute l’année 2014, si l’on se fie aux données de Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_pays_par_consommation_d%27%C3%A9lectricit%C3%A9).

Une troisième étude...

Des répercussions conséquentes sur les humains

Les conséquences des intelligences artificielles ne se limitent pas à l’environnement. Elles touchent aussi, par de nombreux aspects, non seulement les humains qui s’en servent, mais aussi ceux qui contribuent à leur fonctionnement. Voire même, lorsque nous leur confions le pouvoir de prendre des décisions, des personnes qui ne se doutent même pas qu’elles existent. Par exemple lorsque c’est une IA qui décide d’attribuer ou non — et sous quelles conditions — un crédit bancaire (https://knowledge.essec.edu/fr/economy-finance/intelligence-artificielle-octroi-credit.html). En effet, rares sont les établissements qui communiquent de façon transparente sur la notation des individus en termes de solvabilité... et notamment sur la présence de plus en plus systématique d’une intelligence artificielle dans le processus d’attribution du crédit. Or l’impact d’une acceptation ou d’un refus est parfois déterminant pour l’avenir du demandeur.

L’IA au service des humains... ou l’inverse ?

Dès leur origine, les intelligences artificielles ont besoin des humains pour apprendre à effectuer les tâches qui leur seront confiées. La présence humaine reste indispensable à ce jour dans l’ensemble du processus de création et d’entraînement des IA. Même après sa mise en ligne, les équipes analysent les réponses de l’IA aux requêtes des utilisateurs et lui signalent ses mauvaises réponses pour continuer de la faire évoluer. Ainsi, des dizaines de millions de personnes à travers le monde se trouvent aujourd’hui au service des IA. Aussi appelées « travailleurs du clic », ces personnes...

Et l’éthique, dans tout ça ?

La neutralité des IA en question

Un consensus semble s’être formé sur la question des intelligences artificielles : elles seraient forcément neutres et rationnelles, car non-émotionnellement impliquées lors de la prise d’une décision. Elles se basent sur des faits, et rien que des faits : des données chiffrées et objectives. Pourtant, cette croyance se base sur un préjugé. En effet, les IA découvrent le monde et s’entraînent sur un certain nombre de données sélectionnées par leurs créateurs. Elles « deviennent » ce qu’on leur montre, en apprenant et en calquant leur comportement sur un jeu de données forcément incomplet.

En fait, on pourrait comparer les informations fournies à l’IA pour son apprentissage aux aliments et substances consommées par un humain : un mélange quotidien de sucre, gras, alcool ou tabac, par exemple, aura des conséquences néfastes sur l’organisme. Il en va de même pour l’IA : l’exemple le plus spectaculaire à ce jour étant Tay. Cette intelligence artificielle développée par Microsoft en 2016 a été mise sans aucun filtre au contact d’utilisateurs de Twitter, avec des conséquences déplorables (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tay_(intelligence_artificielle)).

Ce qui nous amène au constat suivant : puisque les humains sont imparfaits, les IA le sont aussi. Qu’ils en soient conscients ou non, les créateurs d’une IA lui transmettent une vision donnée du monde. Or celle-ci est forcément partielle, biaisée... et potentiellement discriminante, ne serait-ce qu’au sein du jeu de données utilisées pour son entraînement....

Une réglementation en pleine construction

L’Union européenne propose une réglementation des IA selon quatre niveaux de risques

Dès 2018, l’Union européenne s’est penchée sur la question des IA. Tout en reconnaissant les apports des Intelligences artificielles dans de nombreux domaines (santé, mobilité, culture...), elle estime alors indispensable d’établir un cadre commun aux États membres. L’objectif : que les citoyens européens puissent se servir des produits et services intégrant de l’IA en toute confiance.

L’UE reconnaît en effet que, dans certaines situations, les décisions prises par une Intelligence artificielle peuvent avoir un impact critique sur les humains, notamment lorsque la sécurité ou le respect des droits fondamentaux sont engagés. Une réflexion autour d’un cadre réglementaire a été menée, avec pour résultat un classement des IA en quatre catégories de risque : inacceptable, élevé, limité et minimal.

L’UE s’est clairement positionnée contre les intelligences artificielles au risque inacceptable en les interdisant : on peut notamment citer les systèmes de notation sociale de la population, ainsi que l’identification biométrique des passants dans un lieu public.

Quant aux IA classées en risque élevé, selon la Commission européenne, elles sont soumises à un certain nombre d’obligations pour pouvoir être mises sur le marché (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/QANDA_21_1683) : « Les fournisseurs pourront ainsi démontrer que leur système est conforme aux exigences obligatoires relatives à une IA digne de confiance (par exemple, la qualité...

Propositions pour un usage raisonné et responsable des IA

L’intelligence artificielle, comme tant d’autres outils avant elle, peut être à la fois une opportunité comme un danger. Comme un simple couteau : tout dépend de celui qui le tient entre ses mains. Toutefois, dans le cas d’une IA, deux niveaux de responsabilité sont en jeu : celui de son créateur et celui de son utilisateur.

Une IA entraînée avec des jeux de données suffisamment diversifiés, qui ne recourt pas à des travailleurs sous-payés pour sa modération, parfaitement transparente sur sa consommation de ressources, capable de créditer les auteurs des textes ou des images qu’elle reproduit... voilà quelques pistes à suivre pour son créateur. Mais dans le cadre de la course à l’IA qui s’annonce dans les années à venir, et compte tenu des enjeux financiers faramineux, quelles entreprises seront capables de respecter ces points ?

Et du côté des citoyens, qui aura l’opportunité d’utiliser ces IA dans toutes sortes de situations ? Notre rôle consiste à comprendre les enjeux de l’Intelligence artificielle, afin de l’utiliser à bon escient.

La première solution évidente est la sobriété : utiliser l’IA le moins possible. Certes, son usage est tellement facile. Quelques mots sur un clavier suffisent à dialoguer avec une entité presque omnisciente, capable de répondre à toutes nos questions (et même avec humour, quand on le lui demande !) : une démarche à la fois plus simple et plus agréable qu’une requête sur un moteur de recherche. L’IA est capable de réaliser pour nous des tâches qui nous ennuient, que nous trouvons fastidieuses :...